“On ne commande la nature qu’en lui obéissant” avait dit le philosophe Francis Bacon (Novum Organum 1620). L’Humanité, depuis ses balbutiements, lutte pour sa survie, grâce, mais aussi contre la nature qui l’entoure, car celle-ci peut se montrer parfois violente. Le mythe de Prométhée, qui vole le feu aux dieux pour le donner aux hommes en est une des premières légendes.
En se créant un environnement plus sûr pour assurer son avenir, l’Homme a créé par la même occasion des villes et, par extension, fondé des civilisations. Mais peut-on dire qu’aujourd’hui, nous, humains principalement citadins, sommes si éloignés que cela de la nature? Aujourd’hui, au 21ème siècle, alors que les canicules se succèdent d’années en années, l’Homme se tourne vers des solutions inspirées de la nature, pour tenter de préserver un monde dont les ressources sont finies.
L’Homme cherche-t-il à maîtriser la nature, ou bien s’en inspire-t-il tout en la détruisant, tel un enfant gâté qui cherche une émancipation? Et De Facto, si le Design a longtemps imité la nature, peut-il être, à notre époque, un prolongement de celle-ci, en s’en inspirant pour la préserver? La discipline évolue et se renouvelle sans cesse. Aujourd’hui, de nouvelles pratiques émergent, notamment grâce aux Ecoles de design, qui ont pris conscience qu’il fallait démocratiser des pratiques telles que l’Eco-Design, ou le biomimétisme.
ART Nouveau et biomimétique
Credits : Les quatre saisons par Alfons Mucha.loc.gov “Chocolat Masson” and “Chocolat Mexican” Calendar of 1897
Dès le début du XXème siècle, le mouvement Art Nouveau suscite un intérêt fulgurant en prenant le contre pied de la révolution Industrielle. Il s’inspire directement de la nature mais aussi dans le mouvement japoniste, en mélangeant art et artisanat et en établissant des partenariats entre les métiers. Ce qui donne des ferronneries organiques ainsi que des ornementations en arabesques, si caractéristiques de cette période. Mais pas seulement. Egalement, l’Art Nouveau, avec les représentations féminines d’Alfons Mucha et ses lithographies, personnifie la nature. Il la met au centre de l’attention, dans des décors fleuris et dans un cartouche. Cela donne un aspect presque religieux à ses personnages quasi-exclusivement féminins, telles des muses.
Nature et design – le Biomimétisme théorisé
Credits : Janine Benyus at TEDGlobal 2009, Session 4: « Nature’s challenge, » July 22, 2009, in Oxford, UK. Credit: TED / James Duncan Davidson
Nous oublions, de par notre appartenance à cette civilisation moderne, que l’arbre que nous coupons pour fabriquer notre plan de travail de cuisine est le fruit de millions d’années d’évolution, de perfectionnement, de lutte contre les éléments. C’est ce qui a fini par optimiser le rendement des feuilles pour capter un maximum de soleil et des branches ergonomiques. Mais aussi un tronc solide qui résiste à des rafales de vent supérieures à 150 km par heure.
En regardant la nature évoluer, l’Homme, et, plus particulièrement le designer, va s’inspirer d’elle pour ses créations et pour innover. Cela donne le Biomimétisme ou la Biomimicry (Biomimique en francais), théorisé par Janine M. Benyus, scientifique nord-américaine dès les années 1990.
Elle souhaite que l’Homme s’inspire de la nature pour produire, designer et agir, de manière à harmoniser le monde qui nous entoure et « réinventer notre futur ».
Pour cela, elle a créé, en 2005, après des années de recherches, “l’Institut de Biomimétique (Biomimicry Institute) avec Dayna Baumeister et Bryony Schwan”. C’est aujourd’hui la référence incontournable en matière de biomimétique.
Design paysager et biomimétisme
Source : Paris Smartcity 2050 by Vincent Callebaut, https://vincent.callebaut.org
Vivre dans un Paris verdi, c’est la vision, d’ici 2050, de Vincent Callbaut. L’architecte parisien va développer ce qu’il appelle de l’archibiotique, c’est-à dire de l’architecture visionnaire. Dans son projet, “Paris Smart City 2050”, il intègre des plantes dans de grandes structure urbaines et relooke la ville de Paris en superposant de nouveaux bâtiments sur les anciens. Il a également imaginé une ville flottante, qui pourrait accueillir, notamment, des réfugiés climatiques, car la montée des eaux deviendra un sujet central d’ici 2050. (Voir image de couverture)
Est-ce que les immeubles peuvent penser? C’est la question que Dennis Dollens, architecte novateur, s’est posé il y a quelques années, pour ses travaux sur les constructions biomimétiques. Il œuvre pour créer du design d’espace naturel (jardins verticaux, toits végétalisés, agriculture urbaine).
En s’inspirant du vivant, Dennis Dollens donne à ses constructions des structures moléculaires, qui forment des masses complexes autoportées, non sans rappeler la forme hélicoïdale de l’ADN. Pour voir son travail, c’est ici.
Design participatif, communautaire et local : le biophilisme
Source : wikifab.org dôme géodésique
Cette tendance émergente tend à créer un environnement plus inclusif pour renforcer le lien entre l’Homme et la nature/son environnement mais surtout reconnecter les utilisateurs avec les lieux, objets et l’espace public.
Par exemple, la création de dômes Géodésiques, souvent en chantiers participatifs, utilisent un design de forme alvéolaire qui rappelle les nids d’abeilles. Cette forme serait plus apte à résister aux intempéries et permet une portée équilibrée, ce qui la rend beaucoup plus durable dans le temps.
Design d’objet : Objets inspirés de la nature et éco matériaux
Agence ARTEK – Fauteuil #401 Connaissez-vous le fauteuil #401? Imaginé et conçu par le designer Alvar Aalto en 1933, il a ensuite été imité par la firme suédoise IKEA (sous le nom de Poäng) et est devenu un des fauteuils les plus vendus au monde. Si aujourd’hui, la réputation éthique, écologique et durable du géant suédois est plutôt mitigée et a basé son modèle sur la production de masse, Alvar Aalto prônait… exactement l’inverse ! Originaire de Finlande, Alvar Aalto a grandi dans des régions où la déforestation est devenue une préoccupation. Ce designer spécialisé Produit est alors parti de ce constat pour créer un produit durable et design. Cette volonté ne venait pas de nulle part, son père travaillait avec l’agence de l’environnement finlandaise à une époque où l’écologie n’était pas aussi prise en compte qu’aujourd’hui. Alvar Aalto a donc créé une agence produisant des meubles design et issus de filières durables et locales, baptisée Artek. (lien en bas de la page)
Source : Courtoisie de GWILEN.com
GWILEN – Eco Matériau GWILEN est un éco matériau made in Bretagne. Il est le fruit de la collaboration entre Yann et Delphine Santerre ainsi que Mathieu Cabannes. Sur une idée originale de Yann, qui en 2020, part d’un constat : l’estuaire de la Vilaine, fleuve breton, depuis la création d’un barrage dans les années 70, s’envase progressivement. “Cet estuaire, zone naturelle protégée, est symbolique de l’impact qu’ont les hommes sur leur environnement” nous disent-ils sur le site de leur agence.
Le projet de Yann devient alors de récupérer les sédiments qui s’accumulent dans cet estuaire ainsi que dans les ports bretons. Par la suite, il développe une technique pour les revaloriser et les transformer en éco-matériau de construction. Cela donne un matériau écologique, innovant et issu d’un processus moins polluant puisqu’il ne nécessite pas une cuisson à haute température, comme le carrelage classique, par exemple. Ce matériau, qui devient dur comme la pierre à la fin du processus de fabrication, est teinté dans la masse avec des pigments naturels, qui lui donnent un aspect à la fois doux et résistant aux intempéries. Le résultat est à mi chemin entre la terre cuite et le béton et peut être utilisé dans toutes sortes d’applications. Par exemple, la société développe un carrelage rétro inspiré du terrazzo, mais avec des matériaux marins, que la société a baptisé “merazzo”. Des éclats de coquillages ont été incorporés au mélange pour une finition nature. (lien en bas de la page)
Source : courtoisie de rinku.design
RINKU – LINK – LIEN L’Agence Rinku, qui en japonais veut dire “relier”, évoque aussi le mot anglais “link”(lien). Progrès et artisanat marchant main dans la main. Ce projet, né de la collaboration entre Raphaël Cei à Sébastien Lenzi, l’un designer spécialisé en innovation industrielle et l’autre, fils d’ébéniste et adepte du mouvement des Makers. La société produit des meubles dans son atelier marseillais, en veillant à n’utiliser que du bois issu de forêts gérées durablement et mettent un soin particulier à l’ouvrage.
Au style minimaliste et respectueux, les deux collaborateurs décrivent leur projet comme ayant : “Un style aux racines artisanales pensé pour traverser les générations et tremper d’un esprit doucement contemporain.”(lien en bas de la page)
La notion de respect intrinsèque à ce projet est chère à la culture japonaise, non sans rappeler le projet de l’agence de design japonaise YumaKano, avec son matériau hybride, ForestBank [lire notre article sur le sujet].
Impression 3D, 4D et biomimétisme
Source : Courtoisie agence EntreAutres
La démocratisation de l’utilisation des imprimantes 3D dès les années 2010 a changé la donne, que ce soit dans le domaine du design industriel, du design d’objets imprimés en 3D. Les possibilités infinies qu’offre l’impression 3D en termes de formes et de matériaux vont mettre le biomimétisme en lumière. Imprimer des structures alvéolaires et voir en temps réel le projet se réaliser offre également de nouvelles perspectives aux designers qui pourront ajuster leurs projets (presque) à l’infini grâce à cette nouvelle technologie biomimétique. De même, l’impression 4D, permettra à ces mêmes structures imprimées, d’interagir avec leur environnement. Avec un modèle vivant, on imprimera des structures articulées, qui bénéficieront à la fois aux ingénieurs et aux médecins, par exemple en termes de prothèses, ce qui relie la pratique avec le Care Design. L’Agence EntreAutres, qui prône pour un « design transversal », ( avec une logique collaborative “de l’identification des besoins, jusqu’à la phase de réalisation technique et d’expérimentation des solutions.”) développe notamment des projets dans ce sens. Avec la mise en place d’un FabLab (8fablab) et avec un concept d’imprimante 3D du designer néerlandais Olivier Van Herpt autour de l’impression 3D, l’agence expérimente des formes inédites pour un matériau naturel : la céramique.
Cela ouvre le champ des possibilités pour l’avenir, car jusqu’à présent, le plastique était plutôt majoritaire dans l’utilisation d’imprimantes 3D. (Voir liens en bas de page)
CONCLUSION
Dès le XVème siècle, le génie Léonard de Vinci, en dessinant son Ornithoptère ( en s’inspirant des ailes des chauve-souris) avait déjà compris l’importance de la nature dans toutes les applications du génie mécanique, de l’ingénierie mais aussi du design.
Source : Courtoisie de wikifab.org
Aujourd’hui, dans nos sociétés modernes, nous tentons, de par nos intérieurs boisés par nos meubles ou bien nos plantes d’intérieur, de nous reconnecter à la nature, car les espaces naturels sont des refuges pour l’Humain, des lieux où on se reconnecte à sa propre nature et où on se sent bien.
L’Homme prométhéen (qui vole le feu aux dieux pour son propre confort) cherche à maîtriser l’environnement au détriment de sa propre nature. Il cherche à lui faire faire des choses qui reflètent ses propres pensées contre-nature, centrées sur lui-même. Il cherche à matérialiser une idée de la nature, qu’il s’est façonné dans sa tête, grâce à la civilisation qui l’a protégé des intempéries et sécurisé, tout en l’éloignant de la Nature elle-même.
Le monde du design a bien compris que son salut, associé à celui de l’Humanité, ne pourra que se plier à la volonté de la Nature dont il est issu et qui ne finira jamais de l’inspirer et de lui donner des solutions.